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Quakers de Montréal
 

Au commencement, le cercle

Un portrait personnel de l’Assemblée quaker de Montréal en 2023


Wendy Sturton — 14 janvier 2024

Cercle noir

Après deux ans de silence solitaire suite au décès de mon compagnon en 2015, j'ai assisté pour la première fois à une assemblée quaker. Dans ce cercle silencieux, j'ai senti que j'étais rentrée à la maison.

Ma première émotion a été la gratitude. Je pouvais me taire et explorer cette grande salle intérieure et sombre avec ceux qui étaient à mes côtés. Au fil du temps, l'obscurité partagée a révélé un mouvement spirituel et une lumière. Éventuellement, je verrais l'amour en son centre. Mais au tout début, ce simple silence dans l'obscurité, avec d'autres personnes habituées à cette lumière, fut un baume contre le chagrin et la peur.

Le groupe était petit et me laissait perplexe. Ils exprimaient leur acceptation, mais peu de curiosité à mon égard. Cela laissait un espace ouvert à ma propre immense curiosité à leur égard. C'est ainsi qu'a commencé mon voyage vers l'adhésion à la Société religieuse des Amis.

L’assemblée était en phase de renouvellement, après avoir été réduite à une assistance occasionnelle de deux ou trois personnes. Les nouveaux participants comme moi ne connaissaient pas les valeurs et les traditions quakers. Certains nouveaux venus se sont plongés dans des lectures et des vidéos pour mieux comprendre. Nous avons écouté ceux qui avaient une longue expérience du quakerisme. Nous avons essayé diverses directions qui, souvent, n'ont abouti à rien. J'ai lutté avec l'identité quaker, en essayant de tout mettre en œuvre en même temps : l'activisme, les cinq témoignages, les nouvelles pratiques et traditions.

La pandémie a mis un terme brutal à ces tentatives. Nous nous sommes tournés l'un vers l'autre sur nos écrans, et j'ai pleuré pendant un moment la perte d’un contact direct. Le cercle a été remplacé par un écran aux multiples fenêtres. De nombreuses fenêtres, avec des visages affamés qui me regardaient. Je me suis adaptée. Nous avons innové le culte et le ministère virtuel silencieux, avec une fête de Noël quaker sur Zoom, avec des promenades méditatives "ensemble" dans l'espace virtuel, et progressivement avec des visiteurs éloignés qui avaient soudain accès à nous. J'ai participé à des événements quakers en d'autres lieux d'Amérique du Nord.

Un petit groupe de fidèles francophones avait commencé à se réunir à Québec. Pendant la pandémie, les cultes sur zoom ont permis la participation des francophones provenant de toute la province. L'Assemblée mensuelle de Montréal s'est engagée à traduire tous nos messages, notre infolettre et nos communications orales à chaque fois que nous le pouvions. De nouveaux visages, de nouveaux noms, de nouveaux ministères personnels en français illuminent notre espace commun. Mon désir d'interagir avec cette mystérieuse culture vivant à côté de la mienne, si frustrante à certaines périodes de ma vie, si chaleureuse à d'autres, se réalisait peu à peu dans un contexte quaker. J'espérais la paix, l'enrichissement et de nouvelles perspectives.

Le retour au centre communautaire Greene après la pandémie s'est fait progressivement. Au début, j'ai résisté. Il m'a fallu du temps pour trouver le courage de m'aventurer et m'habituer à la présence physique d'autres personnes, pour distinguer l'irremplaçable contact direct de la présence personnelle contrastant avec les avantages offerts par les rencontres à l'écran.

Nous nous sommes demandés : qui seront ceux qui vivront dans le noyau de notre Rencontre ? Qui participera à la plupart des assemblées du dimanche et aux assemblées pour les'affaires, à sortir les chaises, à accueillir les nouveaux venus, à installer l'ordinateur et la caméra pour les réunions hybrides, apportera du lait pour le thé et dun goûter, aidera à nettoyer après la réunion? Tout cela n'était pas clair pendant un certain temps. Au début, le travail reposait lourdement sur les épaules de quelques-uns. Peu à peu, d'autres ont pris le relais. Le nombre de participants a augmenté. La réunion est devenue diversifiée, intéressante et spirituellement nourrissante.

À Montréal, un esprit d'expérimentation et de recherche post-pandémique s'est installé. Parce que la Réunion de Montréal a un site Web bien développé, nous avons pu accueillir un flot constant de nouveaux arrivants. Au cours des derniers mois, de dix à vingt personnes se sont rassemblées. Les membres du noyau dur forment le cercle du culte silencieuse, tandis que les nouveaux venus s'assoient avec leurs pensées, leurs explorations et leurs observations. Les nouveaux venus participent souvent à la période des "joies et des peines" à la fin du culte. Ensuite, nous nous présentons brièvement et discutons autour d'une tasse de thé. Encore et encore, des amis et des inconnus partagent leur vie si profondément que beaucoup restent jusqu'à la fin et ne veulent plus partir.

Nos liens avec le groupe francophone du Québec sont profonds. Ils sont désormais autonomes et les visites se font dans les deux sens. Le français est souvent parlé aux assemblées du Centre Greene, et nous savons que l’assemblée francophone gagne du terrain. Nous nous réjouissons de notre croissance spirituelle mutuelle. Dans notre assemblée actuelle, les Amis doivent avant tout écouter. Certaines explications sur le quakerisme sont demandées mais la plupart du temps, c’est notre tradition d'écoute profonde qui est sollicitée auprès de ceux qui sont en difficulté ou confus, parfois auprès de ceux qui sont de passage et curieux et parfois auprès de ceux qui sont dans la joie.

Un jeune scientifique effectuant des recherches à l'université de Montréal arrive avec quelques membres de sa famille. Je lui demande comment il s'est intéressé aux questions spirituelles. Il me répond qu'il a commencé à s'intéresser à la physique quantique lorsqu'il était adolescent.

Une femme qui a assisté périodiquement aux assemblées, qui vit en Angleterre mais qui vient rendre visite à sa mère dans une résidence pour personnes âgées située à proximité, annonce au ministère que sa mère est morte la semaine précédente. Le chagrin étouffe sa voix mais elle fait preuve d'une grande lucidité et reconnaît le caractère inéluctable de ce décès. Elle nous remercie de l'avoir accompagnée tout au long de ses visites et ce jusqu’à la fin. Nous sommes sa maison spirituelle, dit-elle. Elle ne reviendra pas aussi souvent (peut-être jamais, me dis-je), mais elle ne nous oubliera pas. Et nous ne l'oublierons pas non plus.

Une jeune femme à la personnalité intense saisit l'opportunité offerte par notre culte silencieux pour partager impérativement sa vie spirituelle. Elle se lève et parle dans un mélange de français et d'espagnol sur un ton si bas que personne ne peut l'entendre. Ses yeux brillent, ses mains se serrent, elle se déplace d'un pied à l'autre. Après avoir parlé bien plus longtemps que la plupart des gens ne le feraient, elle s'assoit. Au bout de cinq minutes environ, elle se lève à nouveau pour répéter son discours. Au bout de cinq minutes environ, elle se lève à nouveau et recomence. Et ainsi de suite. À la fin de l’assemblée, nous découvrons qu'elle vit dans un centre d'accueil pour réfugiés. Elle revient plusieurs fois et répète le même scénario. Finalement, deux d'entre nous s'assoient avec elle et lui disent à quel point ils veulent l'entendre et la comprendre et lui expliquer nostre façon d’intervenir lors d’un ministère vocal. Elle essaie, se confrontet, et nous acceptons le résultat.

Du coin de l'œil, j'aperçois deux jeunes femmes à l'extérieur du bâtiment qui passent devant la fenêtre en se dirigeant vers la porte du Centre Greene. À cet instant, je remarque leurs robes magnifiquement colorées et leurs sourires alors qu'ils se parlent en riant. Evidemment elles se sont égarées après leur entrée. Dix minutes plus tard, ells rejoignent notre assemblée silencieuse pour s’asseoir. A la fin du culte, j'ouvre les yeux et je les voit regarder curieusement vers nous. Nos groupes de discussion se réunissent. Je leur demande, qu'est-ce qui vous a dirigé vers nous ? Elles expliquent avec des rires de plaisir, et avouent qu'elles ne se connaissent que depuis seulement trois semaines; qu'elles se sont mis au défi d'entreprendre des choses inhabituelles et que c'est l'une des des choses inhabituelles qu'elles ont décidé de faire. Il apparait clairement à leurs regards et leurs caresses amoureuses que ces deux-là sont amantes et au balbutiement de leur relation. En faisant allusion à leur habillement je leur demandai, tu vas quelque part après ? Rires. Non, ils ne savaient tout simplement pas comment s'habiller. Elles se sont fait belles, pour nous, dans leurs atours colorés. Alors, demande l'une d'elle, comment s'est passé ton silence aujourd'hui? Je fut tellement surprise par cette question que ma résolution de vivre un seul jour à la fois s’est manifestée: c'est le jour que le Seigneur a fait. Réjouissons-nous et soyons-en heureux. J'étais inspirée par ma sœur dont la grande sérénité aujourd'hui va à l’encontre du fait qu'elle s'attend demain à recevoir des nouvelles d’une biopsie. Je n’avais donné aucun ministère vocal. Partager de cette manière fut un grand soulagement.

Trois d’entre nous ont visité une assemblée des Quakers africains dans une église catholique apparemment déserte. Deux d’entre nous entretenons des liens affectueux avec eux car nous les avons aidés lors de leur arrivée du Congo. Nous parcourons de grandes pièces vides, hautes et aérées avec des murs de pierre. Le plus souvent dans l'obscurité, avant de franchir la porte d'un pièce centrale remplie de lumière vive, de chaises, de murs décorés, d'hommes vêtus de costumes aux couleurs exotiques et de femmes drapées de façon luxuriante et éclatante. Des enfants magnifiquement habillés et incontestablement chéris sont dispersés un peu partout. Nos assemblées sont culturellement et linguistiquement différentes de celles-ci, et c'est un immense honneur d'y être invités.. Lorsque le service commence, la musique et le mouvement remplissent l'espace : tous chantent, se lèvent, bougent, et cela nous inclut car il est impossible de ne pas se laisser emporter par cette vague de chants joyeux et de mouvement. Je ferme les yeux et rencontre un autre visage de Dieu. Le sermon est déclamé long et fort, et son contenu est complètement à l'opposé de nos témoignages. L'une de nous trois, une jeune femme queer, est terrifiée mais le cache bien. Nous nous asseyons avec leurs aînés et le plus ancien d'entre nous exprime que bien que nous adorions le même Dieu, notre assemblée ne peut pas être d'accord avec les opinions exprimées lors du sermon. Nous les remercions pour leur accueil et nous nous préparons à prendre congé. Alors que nous allons récupérer nos manteaux, une jeune femme tourne vers moi son visage rempli de joie et d’accueil. Je regrette que nous ne restions pas. Je sais que nous avons créé un lien. Mais il est temps de partir, puis de consoler et d’apaiser cette part de nous qui fut brisée.

Deux jeunes femmes arrivent en début de rencontre portant en elles une curiosité et un sens de l'observation aiguisé. Nous entrons dans le culte silencieux. Par la suite, pendant que nous discutons, elles discutent longuement avec quelqu’un d’entre nous qui a un don particulier pour communiquer nos façons de faire auprès des jeunes. Nous apprenons maintenant qu’il s’agit d’étudiantes qui suivent un cours sur les croyances et les pratiques religieuses ; elles ont reçu la consigne de visiter notre assemblée. Elles parlent de leurs impressions. L'une d'elle nous dit qu’au début elle fut perplexe et surprise par notre silence. Au bout d'un moment, dit-elle, elle a remarqué que quelqu'un qui avait les yeux fermés souriait. Donc! Pensa-t-elle. Il doit y avoir un processus de réflexion derrière ça! Le rire qui suivit la fit sursauter, mais elle savait qu'on ne se moquait pas d'elle.

Et bien d’autres encore… Les anecdotes ci-dessus réfèrent à des personnes de races et de nations diverses. D'autres viennent avec leur masque ou fièrement déclarées, portant en elles la diversité des couleurs de l’arc-en-ciel. Certains de nos participant de longue date constatent avec bonheur que la fréquentation queer s’approche de la moitié. J’éprouve de la joie en voyant ces masques, les malaises disparaîront progressivement.

Tant de mystères nous sont présentés : mystères de joie et de souffrance, entrelacs de langage et d’action qui naissent de divers chemins intérieurs, histoires de vie émergeant de cultures différentes et circonstances multiples, peurs, courage et besoin affichés sous plusieurs angles. Plusieurs personnes vont, viennent et repartenet moins inconnues qu'à leur arrivée. La stabilité n'est pas notre objectif pour le moment, mais plutôt comment offrir écoute et accueil afin de répondre aux besoins des visiteurs que l’Esprit nous envoie.

Dans le cercle de l’assemblée quaker, dans l'obscurité ou dans la lumière, les mains, les cœurs et les esprits cherchent une part d’humanité et ils la trouve. Quel que soit le nom que nous choisissions pour le grand Consolateur, nous trouvons lumière et paix dans notre assemblée.


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