Pour contacter l'équipe de l'infolettre, veuillez nous envoyer un courriel à newsletter@montreal.quaker.ca |
Assemblée quaker de Montréal |
Cette lumineuse saison est celle de la Semence. La vie jaillit de ces petits fruits et de ces bourgeons lorsqu'ils émergent de leur sommeil pour tenter de joindre le soleil. Année après année, c'est un miracle. Notre expérience de la Lumière Intérieure est le fondement de nos vies en tant que quakers. Nous croyons que toutes les personnes partagent cette étincelle sacrée. George Fox l'a appelé "Ce quelque chose de Dieu en chaque personne". Elle a également été appelée l’Esprit, la semence du Christ , ou la semence de lumière. Reconnaître que cette Semence existe en chacun de nous change la façon dont nous nous percevons. Nous, les quakers, utilisons souvent le mot "Lumière" pour nommer cet élément divin. Et pourtant, le mot « Semence » nous donne des indices sur la façon dont nous grandissons spirituellement. Comme une graine mise en terre, le potentiel de croissance est en nous et nous porte vers le divin. Le plan et le chemin sont déjà là. C'est à nous de nourrir cette Semence. En nous y accrochant, nous grandissons vers la Lumière. Parce que nous partageons tous cette croissance et son développement, nous participons aussi avec respect au cheminement spirituel des autres. Les valeurs et les témoignages quakers se sont développés et ont évolué au fil du temps à partir d'une croissance partagée. La vie intérieure des quakers et la vie mise en commun de la communauté quaker sont dynamiques. Répondant aux incitations de cette Semence, nous regardons vers le passé, nous nous tenons dans le présent et nous allons vers l’avenir. |
La semence grandit vers la lumière | Red Tangle par David Millar | "La lumière est en nous tous" a toujours été ma phrase directrice, mais cette lumière qui englobe tout peut parfois être sans direction. Si la lumière est en moi, tout autour de moi et à l'intérieur de tout le monde, où dois-je aller ? Je peux alors me sentir à la dérive en tentant de suivre toutes ces directions. Il est donc utile d'avoir une autre métaphore à cette lumière, une autre façon de la circonscrire. La semence essaie de grandir vers la lumière. Je peux imaginer tous les différents chemins sinueux, épineux et aberrants que les vignes et les racines suivent à mesure qu'elles poussent, et envisager que je ne suis que l'une d'entre elles. C'est une image réconfortante et précise qui est orientée et non pas sans direction. Je garde en tête les petits chemins au-dessus d'un virage, au détour d'un virage, là où la plante s'éloigne de la lumière. Mais leur intention principale est toujours de grandir vers elle. |
Death, New Life, Deep Roots par David Millar | Enseigner, c'est diffuser : des mots, des idées, des textes. Mais pour qu'une semence s'installe, elle doit se trouver en terrain fécond. Pour qu'un élève soit ouvert à recevoir, il doit se sentir en sécurité. En vérité, les élèves sont les premières semences à se disperser dans l'écosystème de la classe. "Je vous vois", leur dis-je le premier jour : la blague est qu'ils ne peuvent pas se cacher en utilisant leur téléphone portable ou s'endormir sans que je m'en aperçoive. Mais le fait est que je vois leur lumière. Fatigués ou alertes, engagés ou inattentifs : ils sont importants. "Voir" se découvre au cœur de chacune des semences. Je sème les grains de la dignité. Certains élèves ont du mal à se mettre en valeur; quand ils trainent à leur arrivée, je leur dis que je suis content de les voir. Une salle de classe est un écosystème diversifié. Un sourire, un hochement de tête, un rire la font s'épanouir autant que la parole. Iels n'ont pas besoin d'obtenir de bonnes notes ou même de remettre un travail pour avoir de la valeur. Même ceux qui ne réussissent pas, peuvent lancer de nouvelles pousses tendres s’ils se voient chaleureusement et emporter avec eux quelques graines de perspicacité à semer. La germination viendra avec le temps, tant que cette lumière intérieure sera perçue. |
Anselm de Canterbury (1033-1109), Proslogion, ch. I (extrait) | Allons, courage, pauvre homme ! Fuis un peu tes occupations, dérobe-toi un moment au tumulte de tes pensées. Rejette maintenant tes lourds soucis et laisse de côté tes tracas. Donne un petit instant à Dieu et repose-toi un peu en lui. Entre dans la chambre de ton esprit, bannis-en tout, sauf Dieu ou ce qui peut t'aider à le chercher. Ferme la porte et mets-toi à sa recherche. À présent, parle, mon cœur, ouvre-toi tout entier et dis à Dieu : Je cherche ton visage; c'est ton visage, Seigneur, que je cherche. Et maintenant, toi, Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment te chercher, où et comment te trouver. Seigneur, si tu n'es pas ici, où te chercherai-je en ton absence ? Et si tu es partout, pourquoi ta présence m'est-elle invisible ? Certes, tu habites une lumière inaccessible. Mais où est-elle, cette lumière inaccessible ? Comment accéder à une lumière inaccessible ? Qui donc m'y conduira et m'y introduira pour que je t'y voie ? Et puis, à quels indices, sous quels traits te chercher ? Apprends-moi à te chercher et montre-toi à celui qui te cherche ! Car je ne puis ni te chercher, si tu ne me l’apprends, ni te trouver, si tu ne te montres. Que je te cherche en te désirant, et te désire en te cherchant ! Que je te trouve en t’aimant, et t’aime en te trouvant ! |
La croissance d’une communauté | Il y a quelques années, l’idée d’une communauté Quaker a été semée dans le Québec francophone. Sa croissance a été lente mais sûre. Les motions de l'esprit, tel que le souffle, comme l'écrit Sébastien Garant ci-dessous, ont favorisé cette croissance à travers maints hasards et maintes coïncidences. Jean Louis Demers a lu et réfléchi sur le quakerisme pendant des années avant d'avoir la possibilité de réaliser son projet. Il a exprimé le désir, après avoir visité l’Assemblée de Montréal à quelques reprises, de fonder un groupe quaker francophone à Québec. William Blizzard, un ami présent à ce moment-là, avait des liens avec l'Église anglicane. Il a mis Jean Louis en contact avec l'évêque anglican de Québec, qui a généreusement et gracieusement mis à sa disposition une fois par mois la chapelle attenante à la cathédrale afin de pouvoir y tenir une assemblée quaker. Au fil du temps, Jean Louis a regroupé quelques personnes afin de participer à ces assemblés. Il s'y est souvent retrouvé en compagnie d’une autre personne, Clara Grouazel, ou parfois seul, en silence. Mais il s'est fermement accroché à son objectif. Il a fallu la pandémie et la possibilité de contacts par Zoom pour finalement pouvoir rassembler une poignée de francophones éloignés les uns des autres. Ces personnes ne pouvaient peut-être pas participer à une assemblée en présence, mais pour une raison ou pour une autre elles étaient attirées par le quakerisme. Par la suite, David Summerhays a offert en ligne et en français, un cours d’introduction au quakerisme. Un certain nombre de ces personnes s’y sont inscrites et ont reçu avec enthousiasme des notions d’introduction sur la voie quaker. Ce cours les a amenées à trouver une union plus profonde avec leur propre lumière intérieure et à créer des liens entre elles. Bien que la belle chapelle anglicane ait abrité leurs premières rencontres, Jean Louis, Clara Grouazel et Sébastien Garant ont, d’un commun accord, décidé de déplacer les rencontre vers la ville de Lévis, dans un café communautaire plus accessible pour tout le monde. Avec la complicité d’une église protestante locale, ce café offre de la nourriture et un endroit chaleureux à ceux et celles qui en ont besoin. Ici, dans une pièce attenante, un culte silencieux a lieu une fois par mois, habité par les bruits de la vie du café. Ça plait à tout le monde. La fréquentation en personne a augmenté. La tenue d’une assemblée mensuelle sur Zoom pour le culte en français est maintenant bien implantée. Le bilinguisme s’est accru dans les rencontres régulières de l’Assemblée de Montréal, qu’elles soient en ligne et en personne. La nouvelle communauté, qui conserve son lien d’appartenance avec l'Assemblée mensuelle de Montréal, abonde en profondeur et en joie. Vous trouverez ci-dessous un certain nombre d'articles écrits par leurs membres, articles qui témoignent de leur évolution spirituelle. | Semences de communauté par Wendy Sturton |
En ce beau matin lumineux et suite à ma lecture du chapitre sur la paix intérieure du livre de Jacques Philippe "Si tu savais le don de Dieu", j'ai pris la décision de mettre en priorité ma recherche de la paix intérieure. L'auteur cite entre autres Etty Hillesum: "Notre unique obligation morale, c'est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche jusqu'à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y a de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans le monde en ébullition." Voilà, cette recherche de paix intérieure, ce défrichage d'une clairière (j'aime cette expression) sera ma quête. Cette démarche me plaît. Elle est concrète, universelle, elle rejoint plusieurs courants spirituels dont celle de Thich Nhat Hanh qui m'a tant parlé et apaisée. En fait, selon Jacques Philippe, le testament spirituel de Jésus, son but ultime est d'établir le croyant dans la paix et ça tombe bien car c'est mon souhait. Il me reste à en faire une priorité. Je cite l'auteur: "Dieu est un océan de paix et chaque fois que, par la prière, nous sommes en union intime avec lui, notre coeur trouve la paix."
|
Spring Purple par Juliane Beck |
Depuis un peu plus d'un an, j'habite dans le Bas-Saint-Laurent où j'ai repris une activité d'intervenant psychosocial. Scientifique de formation, après plus de vingt de recherche et d'enseignement en biologie, je me suis tourné vers la philosophie et la psychologie, initialement pour écrire un ouvrage sur les croyances (pas seulement religieuses !) – "Ostinato… homo : credo". Dans le prolongement de ces réflexions, c'est le thème de « l'Omni Présence de "l'Esprit", ses interactions au sein de nos pensées, ses modes de communication » qui s'est imposé. Mais j'ignorais encore tout de la Voie Quaker que j'ai découverte presque "par hasard" au travers d'une lecture. Mieux informé, j'ai aperçu dans ce courant de spiritualité, l'expression d'une communication rattachée à ce qui constitue l'essence de l'humain… son "âme". Cette perception m'a conduit à entrer en contact avec des pratiquants de cette approche spirituelle à Québec et inciter à m'inscrire au premier cours en français (Zoom, automne 2021) de six rencontres organisées par David, animateur Quaker de Montréal. Une "révélation" ! Les échanges authentiquement amicaux, la découverte et l'apprentissage du Culte, la pratique de l'Ouverture à la Communication dans le Silence m'ont permis de progresser dans ma recherche, et motivé à en apprendre davantage sur cette pacifique et discrète Voie Quaker. Il y a peu (7 novembre), j'ai eu l'opportunité de participer à une rencontre-culte, sans l'artifice du "mieux que rien" d'un écran, à Québec avec des participants locaux et de Montréal. Rencontre riche dans son approche spirituelle. La dimension sociale, celle qui permet d'associer le vécu spirituel au vécu tout court des personnes, s'est inscrite comme un en devenir (c'est dans cet esprit que j'ai commencé ce témoignage par une "présentation" liée à mes activités en tant qu'individu dans la société.) La récente rencontre-culte (Zoom, 16 novembre) est venue enrichir l'enseignement "pratique" sur la dimension spirituelle d'une socialisation dans le silence… Mon cheminement se poursuit. Comme pour beaucoup, encore personnel, pour ne pas dire solitaire. Mais partager la Voie Quaker aura donné à cette recherche un caractère plus cordial. Plus "populaire", aussi, dans son sens le plus noble… recherche émanant d'un Peuple en attente, à l'écoute de l'Esprit… qui l'habite. |
Méditation sur l’Esprit Saint (en complément de mon texte de février dernier) | Scylla Sweeps Up par David Millar | « The primary purpose of a spiritual ritual is to attune to the greater whole (whatever we may call that) to make contact with Its presence within our deeper levels of consciousness and know ourselves as belonging within this greater whole; and to adjust our choices in life, based upon what that connection and knowing reveals to us. » (P. MaryMoon, Faith and Practice, Canadian Yearly Meeting of the Religious Society of Friends, © 2011, no 1.26, p. 16.) En français et en anglais, le mot « esprit, spirit » a un sens assez large pouvant désigner, par exemple, l’intelligence, l’âme, l’humeur ou même … un fantôme ! Mais comment, dans leur langue d’origine (le grec), les Actes des Apôtres désignent-ils l’Esprit Saint ? Ils le font en utilisant l’expression « hagion pneuma », qui signifie : « saint souffle, respiration sacrée ». Dans sa traduction française de la Bible, André Chouraqui, utilise d’ailleurs l’expression « souffle sacré » pour parler de l’Esprit Saint. Le sens premier du mot grec pneuma est en effet « souffle, respiration, vent ». À partir de ce sens premier, apparaissent des significations nouvelles : « lieu de la vie intérieure » (pensez ici à l’air qui remplit l’intérieur des poumons et nous fait vivre), « être vivant », « esprit », etc. On retrouve plus tard la présence du mot grec pneuma dans la formation de mots français et anglais comme « pneumatique, pneumatic », signifiant : « rempli d’air, fonctionnant avec de l’air ». De plus, le mot français et anglais « respiration » est étroitement apparenté aux mots « esprit, spirit »). Leur racine commune est en effet le mot latin spiritus qui signifie : « souffle, courant d’air, respiration, âme, esprit », etc.) Le but de ce petit survol linguistique n’est pas de tenter de définir l’Esprit Saint dont le mystère est indicible, inépuisable, mais plutôt de mettre en valeur le sens premier de l’expression que les premiers chrétiens utilisaient pour parler de lui : le Souffle Saint. Comme je l’écrivais dans l’infolettre de février, la langue grecque, ne perd jamais de vue qu’un esprit est un souffle. Dans cette perspective, le Souffle Saint n’est plus une sorte d’être abstrait, mais un souffle où nous sommes plongés et que nous respirons, comme nous sommes plongés dans l’atmosphère terrestre et respirons celle-ci. En fin de compte, le Souffle Saint est aussi indispensable à la vie intérieure que l’atmosphère l’est à la vie ordinaire. À la fois en nous et autour de nous, le Souffle Saint, ne cesse aussi de circuler d’une personne à l’autre, comme le font les molécules de l’atmosphère. Il en était ainsi à la Pentecôte (Actes des Apôtres, chapitre 2) et il en est encore ainsi lors d’une assemblée de prière. Aux personnes qui s’ouvrent à sa présence, le Souffle Saint communique la vie et le mouvement divins. Les effets de sa présence sont imprévisibles dans leur détail, mais toujours admirables : au matin de la Pentecôte, le Souffle Saint permet à de nombreuses personnes (venues d’Asie, d’Afrique et d’Europe) de franchir la barrière des langues et des origines pour former une communauté qui portera bientôt le nom d’« Église », en grec : « ekklêsia », « assemblée, meeting ». « The greater whole. » De nos jours, comme à la Pentecôte, nous prions ensemble pour nous faire attentif au Souffle Saint. Sa présence nous enveloppe, nous remplit et circule parmi nous d’une personne à l’autre. Vivifiés par lui, nous avançons ensemble dans l’édification et l’embellissement du monde. Les effets de sa présence sont toujours admirables. |
Je ne peux pas m'empêcher de verser des larmes quand j'écris sur l’idée de la semence intérieure, celle qui a été placée en nous. Pendant de nombreuses années je l’ai enfouie en moi, jusqu'à ce que je découvre le bouddhisme. C'est là que j'ai appris que l’esprit du Bouddha est en chacun de nous, que nous avons tous et toutes de bonnes semences intérieures et qu'il faut continuellement les abreuver. Nous en avons aussi de mauvaises qui doivent être laissées sans nourriture, surtout lorsqu'elles cherchent à s’imposer. Je vous dis cela parce que, sans cette référence boudhiste en arrière-plan, je ne pourrais pas comprendre l’idée de la semence qui existe dans le quakerisme. Je ne pourrais même en comprendre une sans comprendre l’autre. Je ne peux pas séparer les deux car elles sont similaires dans leurs différences. Ma participation à notre assemblée a depuis élargi ma compréhension de ce concept et a aussi érigé un pont entre mes ancêtres et moi. J'ai maintenant acquis un sens plus profond de cette semence intérieure que je partage avec eux et avec vous. Je la vois maintenant comme quelque chose à chérir et qui ne doit pas rester cachée. Je la vois comme quelque chose qui doit toujours être abreuvée. Je la vois aussi comme un lieu de beauté à partir duquel je dois continuellement et délibérément être appelée à agir. Sachant cela, je peux maintenant apprendre à écouter et à œuvrer avec le même courage que celui dont vous faites preuve, cet immense courage et cette immense gentillesse que vous avez, que mes ancêtres ont eu et qu’ils ont encore. De cette même façon et dans ce monde, je peux alors continuer à être une lumière pour moi et pour les autres. Cette semence intérieure dont parlent le bouddhisme et le quakerisme est un endroit où je peux toujours retourner pour trouver le bon chemin, une maison à laquelle je peux revenir quand je suis perdue. |
Spring Greens par Wendy Sturton |
Une libellule à l’Assemblée annuelle canadienne des quakers | Par Margaret Slavin Dyment, 2002 Faith and Practice 3.27 | "Dragonfly" par Rhubarble est sous licence CC BY-NC 2.0. Pour voir une copie de cette licence, visitez https://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/?ref=openverse. | “Lors de la dernière assemblée pour le culte, pendant que nous nous disions au revoir, une petite fille (Jane) est venue près de nous et nous a invités à jeter un coup d’œil dans un sac de papier brun, apparemment vide. Chaque bon quaker a regardé à l'intérieur, prêt à entrer dans un jeu imaginaire, pour finalement n'y découvrir qu'une libellule bien vivante accrochée au sac. Alors que les ami(e)s se levèrent pour se remercier et remercier Dieu et l‘université Mennonite du Canada ainsi que le comité de programme pour la semaine merveilleuse que nous avions passée ensemble, elle a continué son ministère auprès de toutes les personnes présentes dans la salle: une petite fille, un sac de papier brun, un vide apparent, une libellule.” Cela n'aurait pas pu arriver sur Zoom. Le mystère de l’inconnu que nous vivons actuellement nous incite à continuer à chercher un sens, une vérité et à tisser des liens entre nous. Merci à Jane pour son courage et à Margaret pour son écriture merveilleuse. Cette anecdote et son commentaire nous sont proposés par Claire Adamson | Apple trees par Wendy Sturton |
Ce que Haverford m’a enseigné | J’ai vécu sur l’ile d’Utopie pendant trois années. Comme le voyageur naïf qui figure au centre de tant de romans du genre, j’ai mis le pied sur cette ile sans trop savoir ce qui m’y attendait. Les coutumes que j’y ai découvertes ont ébranlé mes idées préconçues à chaque détour. Pour moi cette ile a été le Haverford College, un collège universitaire de tradition quaker situé en périphérie de la ville de Philadelphie en Pennsylvanie. J’ai eu le privilège d’y débuter ma carrière de professeur au début des années 2000. Il serait difficile de surestimer l’immense reconnaissance que j’éprouve envers mes collègues de l’époque, qui ont osé faire confiance à un jeune doctorant de 27 ans fraichement émoulu en m’embauchant. Je leur suis aussi reconnaissant de m’avoir guidé dans la découverte d’une conception de l’éducation qui ne m’a jamais quitté depuis. Comme bien des voyageurs qui visitent Utopie, je me suis éventuellement trouvé devant le choix d’y rester ou de retourner dans mon monde. J’ai fait le choix du retour, mais ce passage en Utopie m’aura néanmoins profondément transformé. J’apprécie l’opportunité qui m’est donnée ici d’expliquer pourquoi. D’abord, clarifions cette référence à l’utopie. Elle ne se veut ni naïve, ni cynique. J’ai consacré ma vie adulte à l’étude de l’utopisme. Il nous offre la possibilité de voir et de vivre le monde autrement, de déstabiliser les idées reçues qu’on nous a inculquées depuis l’enfance. Mais l’utopie est aussi un horizon vers lequel nous marchons sans jamais l’atteindre. En ce sens, je n’idéalise pas Haverford. Quiconque vit en utopie assez longtemps comprend que la réalité et la complexité des rapports humains déborde et confond n’importe quelle tentative de vivre selon un modèle donné. D’ailleurs, les plus sages d’entre nous ont compris que l’atteinte de cet idéal n’est peut-être même pas souhaitable. L’utopie, disait Cioran, est la mort de l’histoire. Mais ce rappel ne diminue en rien la contribution de ces iles utopiques qui œuvrent à nous faire vivre un monde différent, ne serait-ce que pour un moment et en un lieu donné. Bien que ses contours soient malléables et évoluent selon les époques, c’est ce projet fondamental qui a animé la création de Haverford en 1833 et c’est ce projet qui constitue encore sa mission aujourd’hui. Soyons concrets. Les feuillets publicitaires destinés au recrutement étudiant affirment que le Code d’honneur (Honor Code) rafraichi et voté par la population étudiante de Haverford chaque année est au cœur de la vie de cette institution. Ce n’est pas faux, dans la mesure où ce document énonce les grands principes qui doivent guider les rapports entre les personnes sur le campus et au-delà. Il rappelle, en particulier, l’importance de placer la confiance, la bienveillance et le respect au fondement de nos manières d’entrer en relation avec les autres. Tout cela est très bien, mais ce ne sont pas les normes exprimées dans ce code qui m’ont marqué. Après tout, elles sont maintenant assez largement répandues. Ce qui est resté avec moi jusqu’à ce jour est plutôt l’anthropologie sous-jacente à ces normes et la manière dont elle est comprise au quotidien. Il est difficile de ne pas y voir une forte empreinte de l’héritage quaker de l’institution. Mais ne me sentant pas assez savant pour faire des parallèles point par point entre les deux, je me contenterai ici de rendre compte de la découverte naïve que j’ai faite de cette anthropologie à travers mon quotidien de professeur. Déjà, elle a été amplement suffisante pour ébranler les fondements même de ma compréhension de l’éducation. Débarquer sur l’ile d’Utopie est souvent une expérience tumultueuse. Dans mon cas, ce fut un tourbillon où se mêlaient un déménagement international, de multiples démarches bureaucratiques nécessaires pour s’installer dans une nouvelle vie, des séances d’ « orientation » qui nous bombardaient d’informations visant à nous faire saisir le fonctionnement d’une institution complexe en quelques heures et une course effrénée pour arriver à préparer mes premiers cours à temps. Mon véritable premier contact avec la particularité de cette institution est survenu le jour où la directrice de mon département m’informa qu’à Haverford les examens n’étaient pas surveillés par les professeurs. « Vous voulez dire que ce sont des assistants qui surveillent? » ai-je répondu. « Non, personne ne surveille » me dit-elle simplement. « Si les étudiantes et les étudiants se rendent compte que quelqu’un triche, c’est leur responsabilité de rappeler à cette personne qu’elle est en train de briser un lien de confiance. Mais aucune personne en autorité ne surveille les examens. » De même, appris-je bientôt, nous pouvions donner des examens maisons chronométrés. Ceci signifie que les étudiantes et étudiants se retrouvaient alors responsables du respect du temps alloué pour un examen donné. S’ils ou elles dépassent la limite, personne ne le saura. « Ce n’est pas tout à fait exact » répondit ma directrice lorsque je lui fis cette observation « eux-mêmes et elles-mêmes le sauront, et par conséquent sauront ce que vaut leur note. » Encore aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de voir le contraste entre cette approche et la logique quasi-carcérale de la plupart des autres institutions universitaires. Toute ma vie j’avais connu des examens scrupuleusement surveillés, rigoureusement monitorés par des personnes qui s’assuraient que nous ne prendrions pas une minute de plus que le temps alloué. Le présupposé qu’on m’avait inculqué était que nous étions, d’emblée, tous et toutes coupables, que seuls ces contrôles externes pouvaient servir de remparts contre un chaos de tricherie, de plagiat et de malhonnêteté. Je me rends compte aujourd’hui à quel point ce présupposé au cœur de la notion d’ « honnêteté académique » telle qu’elle est inculquée dans beaucoup d’institutions est profondément nocive. À Haverford, je découvrais une autre manière d’aborder la question, une vision où la confiance, le libre-arbitre et la conscience sont placés au cœur de la pédagogie. Les personnes qui ne trichaient pas comprenaient sans ambiguïté que leur intégrité était le résultat de leurs choix, de leur jugement et de leurs valeurs, et non d’une crainte de la répression. Les personnes qui trichaient sans se faire prendre (car il y en avait, évidemment…) entraient aussi dans un cheminement moral qui les mettrait tôt ou tard face à elles-mêmes et à leurs actions. Mais tout cela se déroulait dans le respect de l’autonomie et de la conscience de chacun et chacune, dans un ethos qui présuppose notre capacité à reconnaitre l’injustice, même quand c’est nous qui la commettons. Ce premier contact avec m’a offert une clé de compréhension de mon rôle de professeur qui a fait exploser mes cadres antérieurs et qui, j’espère, est restée avec moi jusqu’à ce jour : la pédagogie et la surveillance font mauvais ménage. Comment participer au développement de l’autonomie des personnes si nous ne leur laissons pas la possibilité de faire des choix véritablement autonomes, si nous restons là à regarder par-dessus leur épaule pour voir si elles se comportent de la manière souhaitée? Comprendre cette leçon que me donnait l’univers quaker a été déstabilisant pour moi. J’ai pu voir, au fil de trois années, comment les principes qui orientaient cette pédagogie s’étendaient dans une multitude de domaines de la vie universitaire, citoyenne et personnelle. J’ai aussi pu en voir les limites, dans la mesure où elle repose tout de même sur le présupposé que les personnes auront un certain degré d’introspection et de réflexion à propos des choix qu’elles font ou ne font pas. Mais il n'est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’utopie soit parfaite. Ce qu’elle a à nous offrir est une occasion de sortir des ornières creusées par notre propre « sens commun ». En cela, mon passage à Haverford aura été l’une des expériences les plus formatrices de ma vie. * Martin Hébert est professeur titulaire au département d’anthropologie de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université Laval. |
Paul Robeson, National Portrait Gallery, Londres | Quelque chose a récemment grandi en moi lorsque j'ai regardé les films de la série Black Quaker Lives Matter. Avant je connaissais peu de choses sur le courage et la détermination de ces héros et héroïnes noirs(es) et quakers. Ces personnes me semblent avoir été inspirées plutôt que inhibées par les obstacles auxquels la vie les a confrontées. Vivre en action a été leur choix plutôt que celui de vivre sous l'anéantissement spirituel et physique. Pour moi, cet appel spirituel au courage, dans des circonstances apparemment impossibles, est l’épanouissement de quelque chose d’intérieur. La vie de Paul Robeson a été présentée à la fin de la série. Robeson a adapté les mots de la chanson "Old Man River", écrits par le parolier blanc Oscar Hammerstein II, afin qu'ils reflètent le plus authentiquement possible les sentiments et l'expérience de sa race. Pour entendre le son de la résilience humaine, écoutez-le chanter : https://www.youtube.com/watch?v=iEQEeNhtosg L'athlétisme et la beauté de Robeson, ses prouesses intellectuelles, ses réalisations dramatiques, son génie musical, tout cela m'a beaucoup impressionnée. Le film que nous avons regardé a été réalisé par DEFA, la société de production cinématographique officielle de l'Allemagne de l'Est. On y présente comment Robeson s'est lié d'amitié avec des artistes et des gens ordinaires dans les pays communistes, où il a été reçu avec respect, et comment cela l'a rendu vulnérable aux attaques du comité de la Chambre du sénateur Joseph McCarthy sur les activités anti-américaines. Pendant de longues périodes, il n'a pas été autorisé à chanter ou à jouer et fut exclu de la vie culturelle américaine. Tout au long de cette exclusion, il n'a jamais nié ses amitiés ni ses convictions socialistes. Les relations qu’avait Robeson avec les quakers étaient liées à son histoire personnelle beaucoup plus qu'elles n’étaient présentes dans sa propre vie. Ses origines familiales étaient cependant passionnément quakers, liées par sa mère aux familles Bustill et Douglass, deux familles qui furent importantes dans le mouvement quaker et dans l'histoire des États-Unis. Les échos des valeurs quakers sont partout présentes dans les façons d’être et l'héritage de Robeson. Malgré les persécutions et le racisme qu'il a endurés, il a conservé tous ses amis sans distinction de race. Il n'a jamais prôné la violence. Il était un artiste-activiste et panafricaniste engagé pour la libération des Noirs dans le monde. Sa vie fut un phare, obscurci par l’odieuse politique de son temps, mais qui suscite depuis lors, reconnaissance et admiration. Pour en savoir plus sur Paul Robeson: https://www.theblackquakerproject.org/post/happy-123rd-birthday-paul-robeson-homage-to-a-beleaguered-leader (Article écrit par Quaker Dr. Harold D. Weaver Sr., organisateur de Black Quaker Lives Matter.) |
LIVRES (revues et recension) | De façon sporadique cette chronique de livres présentera quelques nouveautés ainsi que des commentaires sur certains titres d’intérêt. Toute suggestion est la bienvenue, en anglais ou en français! Jean-Louis Demers Geoffreyjen Edwards, Plenum: The First Book of Deo | Notre ami Geoffreyjen Edwards qui est participant régulier de nos assemblées francophones en ligne et à Lévis vient de publier en anglais un roman de science-fiction intitulé “Plenum: The First Book of Deo”. Félicitations Goeffreyjen! Le livre est disponible en format Kindle et aussi sur d’autres plateformes de livres numériques. Le format papier paraîtra bientôt. Vanu Francoeur est novice dans la “Parenté du Dieu souffrant”, une communauté religieuse dont le mandat est de semer de nouvelles étoiles au sein d'une pépinière stellaire. Vanu se sent confus au sujet de sa neutralité de genre et est également en conflit dans ses relations, en particulier avec sa fratrie. Une rencontre avec un étranger exotique suscite une tempête de conflits au sein de la communauté habituellement calme. Vanu découvre que la culture autoritaire de la Parenté a des défauts profondément troublants. En signe de protestation, iel et sa fratrie sont poussés vers une fin dramatique au plus profond des feux d'une étoile, avec des conséquences qui pourraient s'étendre sur les décennies et les siècles à venir. https://www.metapsychosis.com/plenum/#:~:text=Plenum%3A%20the%20First%20Book%20of%20Deo%20is%20the%20first%20book,Milky%20Way%20called%20the%20Humanitat À propos de Geoffreyjen: https://www.geoffreyjenedwards.com/about-geoffrey-edwards Laure Waridel, La transition, c’est maintenant. Choisir aujourd’hui ce que sera demain, Montréal : Écosociété, 2019, 376p. Recension par Elaine Champagne | Laure Waridel est bien connue comme militante sur les questions environnementales. Co-rédactrice du Pacte pour la transition https://www.lepacte.ca/ et co-fondatrice d’Équiterre https://www.equiterre.org , écosociologue et maintenant professeure à l’UQAM, elle nous propose ici un livre particulièrement invitant pour entrer ou progresser dans la transition vers une économie et une écologie sociale. D’emblée, l’auteure adopte une posture qui nous associe à la terre plutôt que de nous y opposer dans un langage dualiste : « nous sommes l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et les sols qui nous nourrissent », rappelle-t-elle, selon la citation de David Suzuki. Or la transition dépasse profondément la modification de gestes quotidiens – bien qu’elle les inclue. Elle implique la révision de nos constructions sociales – visions du monde, croyances, habitudes. Un nouveau paradigme économique et social doit émerger de la crise que nous traversons. Il est par exemple essentiel de nous investir dans une économie plus « vraie », qui externalise les coûts environnementaux et sociaux liés à nos interactions avec nos milieux. La nécessaire transition écologique doit favoriser l’émergence d’une autre manière de nous comprendre comme humains et de reconsidérer notre relation aux autres et au monde auquel nous appartenons. Les implications de cette conversion concernent les finances, la gestion des déchets, l’alimentation, et plus profondément à la manière d’habiter la terre collectivement. Les publications sur les enjeux écologiques sont nombreuses, mais ce livre de Laure Waridel m’a tout simplement passionné. J’ai été instruite sur de nombreuses questions, j’ai trouvé les informations pertinentes et éclairantes, les explications fouillées et claires, les gestes recommandés accessibles. Si les lecteurs ressentent l’urgence de l’appel, jamais le ton ne tourne à la culpabilisation. Au contraire, le paradigme proposé s’inscrit dans le relationnel et se conclut avec un verbe étonnant, s’il en est, mais combien juste : aimer. Plutôt que de s’inscrire dans la peur, la transition proposée peut s’envisager comme un projet qui engage à la relation, à l’éducation, à la solidarité, une solidarité déjà inscrite, selon l’auteure, dans notre culture québécoise. Un livre incontournable. Denis Delâge et Jean-Philippe Warren, Le piège de la liberté. Les peuples autochtones dans l’engrenage des régimes coloniaux, Montréal : Boréal, 2019 (2e édition), 431p. Recension par Elaine Champagne | Denis Delâge est professeur émérite de l’Université Laval, spécialiste de renom de l’histoire des Premières Nations au Canada. Jean-Philippe Warren détient la Chaire d’études sur le Québec à l’Université Concordia. Les deux hommes se joignent ici pour nous « raconter » le choc de visions du monde et son impact : la progressive dissolution des cultures autochtones du Nord-Est de l’Amérique du Nord (on parle de génocide culturel) suscitée par le colonialisme français, puis britannique. « Le présent ouvrage cherche à déterminer quelles furent les répercussions, pour les peuples indigènes, du passage de l’Ancien Régime au régime libéral. » (13) Or la « liberté » des uns et des autres était envisagée selon des perspectives sociales et politiques dénuées de traits communs et construites dans des épistémologies – des modes de savoirs – radicalement distincts. La vaste fresque proposée par les auteurs permet de constater comment la modernité libérale a pu tristement piéger les Premières Nations, les dépouiller progressivement de leur territoire et chercher à effacer leur identité. L’ouvrage instruit les lecteurs de manière engageante : non seulement les faits et leurs contextualisations aident à mieux saisir les événements et les enjeux qui leur sont liés, mais l’ensemble permet aussi, comme en miroir, de mieux nous comprendre aujourd’hui comme sociétés, comme héritiers de ces dynamiques de pouvoir et de ces visions sociétales trop souvent passées à l’inconscient. Après avoir exposé la liberté telle qu’envisagée par les « sauvages » précolombiens, l’essai explore la liberté offerte par la royauté européenne, qui en fin de compte s’apparente plutôt à un joug intransigeant. Le colonialisme instaure le commerce (selon le modèle libéral) et la propriété privée, de même qu’une conception mercantile du travail, selon des vues d’assimilation dominatrice où aucune place n’est accordée à la mutualité ou à la réciprocité authentique. Les résultats furent dévastateurs – on commence à peine à le mesurer. Comment nous engagerons-nous aujourd’hui, avec lucidité et concrètement, à sortir du modèle patriarcal dans nos relations avec les Premières Nations? Accepterons-nous de reconnaître leur richesse, de laisser bousculer nos épistémologies et de cheminer ensemble afin qu’une réconciliation soit un jour possible? Un livre exigeant mais étonnamment libérateur. | Nature's First Green par David Millar |
Nouvelles et événements (ont eu lieu ou sont à venir) | Sur la photo, devant le café La Mosaïque à Lévis. De gauche à droite au fond: Sébastien Garant, Michael Pedrewski, Geoffreyjen Edwards, Wendy Sturton. Devant: Clara Grouazel, Elaine Champagne, Jean-Louis Demers, Victoria Stanton, David Summerhays. |
Comité de rédaction: Jean-Louis Demers Sherezada Ochoa Wendy Sturton Traducteurs: Jean-Louis Demers Wendy Sturton Un remerciement particulier à: Claire Adamson Juliane Beck Elaine Champagne Aline Demers Wendy Eberle Sébastien Garant Sonora Grimsted Martin Hébert David Millar Juan Nino Jean-Michel Pionetti Leigh Smit |
Pour contacter l'équipe de l'infolettre, veuillez nous envoyer un courriel à newsletter@montreal.quaker.ca |
|